Pourquoi les films français de vampires sont toujours des séries Z

Halloween made in France (3/3) – À l’occasion de Halloween, BFMTV plonge dans l’imaginaire horrifique du cinéma français. Aujourd’hui, les vampires.

Personnage mythique né au fin fond de l’Europe centrale, le vampire a peu intéressé le cinéma français. Si Jean Rollin, pape du cinéma érotico-fantastique, en a fait une de ses spécialités, les cinéastes francophones semblent avoir volontairement délaissé cette figure, à l’inverse des romanciers du XIXe siècle (Théophile Gautier, Charles Nodier et Paul Féval) et des auteurs de BD comme Joann Sfar (Petit Vampire), Yves Swolfs (Le Prince de la nuit) ou Enrico Marini (Rapaces).

Les actrices françaises n’ont pas eu peur non plus de se frotter au mythe, mais dans le cadre de fictions à l’ambition internationale, comme Catherine Deneuve dans Les Prédateurs (1983) ou Isabelle Adjani dans Nosferatu (1979). Enfin, un des plus célèbres vampires de fiction, Lestat de Lioncourt, incarné notamment par Tom Cruise dans Entretien avec un vampire, est français.

Malgré ce corpus très francophile, notre cinéma national n’a produit aucune œuvre vampirique de référence. Au début du XXe siècle, les vampires au cinéma évoquent moins des créatures nocturnes suceuses de sang qu’une bande de criminels dans un populaire feuilleton de Louis Feuillade, Les Vampires. La star de l’époque Musidora y joue le rôle d’Irma Vep, femme fatale dont le nom est l’anagramme de “vampire”.

Les vampires selon Roger Vadim

Il faut attendre 1960 pour voir débarquer sur grand écran le premier film de vampire français: Et mourir de plaisir, une adaptation de la nouvelle de Sheridan Le Fanu Carmilla (1871) par Roger Vadim. Porté par Mel Ferrer et Elsa Martinello, ce film onirique assez lent, un des premiers à s’aventurer sur les terres du vampirisme saphique, raconte l’histoire d’une jeune femme possédée par l’esprit de son ancêtre la vampire Mircalla.

De l’avis général, le film reste loin de la réussite du Cauchemar de Dracula (1958), classique qui immortalisa Christopher Lee dans le rôle du conte sanguinaire. Si Le Monde salue lors de la sortie la photographie “splendide” de Claude Renoir, il déplore également que Mel Ferrer et Elsa Martinelli “ne paraissent guère à leur aise” dans “ce récit mollement conduit [où] nous ne sommes jamais angoissés ni vraiment envoûtés”.

Et mourir de plaisir fait aussi pâle figure en comparaison du Masque du Démon de Mario Bava, sorti un an après, mais avec qui il partage certains éléments comme la ressemblance physique entre l’ancêtre vampire et sa descendante. Conscient des faiblesses évidentes de son film, Vadim l’a rarement évoqué dans ses biographies. Il s’était contenté de le défendre à la sortie en employant des expressions floues: “J’avais envie de faire un film sans restrictions, sans frontières. C’est dans cet état d’esprit que j’ai tourné Et mourir de plaisir. Un conte rose et noir à la frontière de l’impossible.”

Jean Rollin, le roi des vampires français

C’est six ans après cette première tentative que Jean Rollin commence une carrière placée sous le signe du vampire. Son premier essai, intitulé Le Viol du Vampire (1967), sera suivi par une série de films aux titres évocateurs: La Vampire Nue (1969), Le Frisson des Vampires (1970), Requiem pour un Vampire (1971). Il est l’un des premiers à avoir représenté des vampires femmes de manière systématique.

“C’est un homme qui s‘est vraiment acharné pour monter sa carrière de réalisateur. Faire des films français fantastiques sans argent à l’époque, c’était vraiment impossible et il n’y a pratiquement que lui qui ait réussi à le faire”, avait indiqué en 2010 à 1Kult Norbert Moutier, autre grand nom du cinéma bis français. “Le Viol du Vampire est le plus étrange de tous [ses films]. C’était un film en deux parties accolées. C’est sorti en Mai-68, pendant les fameux événements et ça a déconcerté tout le monde. Le temps ayant passé, c’est devenu un classique.”

Si dans les années 80 Rollin disparaît des écrans, il revient malgré une santé fragile avec Les Deux Orphelines Vampires (1995) et La Fiancée de Dracula (2002). Marqué à vie par les films gothiques du studio Universal sortis dans les années trente, Jean Rollin était fasciné par la figure du vampire, pour lui “le personnage le plus humain, le plus séduisant” de la mythologie fantastique, avait-il raconté quelques années avant sa mort en 2010:

“Le loup-garou n’a rien de séduisant, la momie non plus. Mais dans le film de vampire, il y a un arrière-plan d’émotions érotiques très fort: le baiser du vampire est bien sûr un symbole, et la fascination qui s’en dégage m’intéresse beaucoup, parce que je peux facilement y placer une fille vampire: il est beaucoup plus difficile de faire une ‘louve-garou’, ou une créature de Frankenstein femelle. Et puis il y a l’importance du fétichisme qui entoure le vampire: le costume, le baiser dans le cou… J’aime beaucoup ce symbolisme, qui mène droit à l’érotisme.”

Les peurs de l’époque

Toujours présent dans les films de vampire, cet érotisme est poussé à son paroxysme dans les films de Jean Rollin, analyse Christopher Bier, spécialiste du cinéma bis et érotique: “Ses films sortaient dans des salles spécialisées dans l’épouvante. L’érotisme est venu très tôt dans ses films pas par goût personnel, mais par volonté commerciale. Ses financiers lui avaient demandé de mettre un minimum de femmes nues parce que ce genre de films ne pouvait avoir du public qu’avec un petit peu d’érotisme. Jean Rollin y a trouvé quand même son compte dans la mesure où l’érotisme est une part importante de son approche du surréalisme. C’est un élément d’insolite supplémentaire.”

Malgré ces atours de série Z, les films de vampire de Jean Rollin sont en prise avec les évolutions sociétales des Trente Glorieuses, assure sur Médiapart le critique de cinéma Cédric Lépine: “Jean Rollin a témoigné également des peurs de son époque, ses histoires de vampires féminines évoquant la peur masculine de l’émancipation sexuelle et politique des femmes: sans être féministe, Jean Rollin délaisse cependant le héros masculin du centre de ses attentions pour développer aussi une sensibilité toute romantique de ses figures de monstres, que ceux-ci soient vampires ou morts vivants.”

Vampires comiques

La France étant plus une terre de comédie que de fantastique, c’est souvent dans des pochades que les vampires sont réapparus. En 1977, Edouard Molinaro, réalisateur notamment d’Oscar et de Hibernatus, signe Dracula père et fils où Bernard Menez donne la réplique à Christopher Lee dans une de ses dernières incarnations de son rôle culte. Le film n’aurait jamais été fait si le grand acteur britannique ne s’était pas prêté à un rare numéro d’autodérision:

“Quand j’ai lu le livre dont est tiré le film, Paris Vampire de Claude Klotz, j’étais persuadé que l’adaptation n’avait d’intérêt seulement si le rôle de Dracula n’était pas joué par un acteur comique français, comme Jean Lefebvre etc…”, avait raconté Bernard Menez à L’Express en 2016. “Il fallait un spécialiste, un habitué de ce genre de film. (…) Le problème est que Lee ne voulait plus tourner de Dracula. Le réalisateur Edouard Molinaro l’a convaincu en disant qu’il s’agirait d’un film humoristique de qualité, dans le style du Bal des vampires de Polanski.”

Le résultat reste moins mémorable que Le Bal des vampires. “Je n’irais pas jusqu’à affirmer, comme Édouard Molinaro, que Dracula père et fils est un ‘film raté’, mais force est de constater qu’il est tout de même largement en-dessous de celui de Polanski”, note Gilles Botineau, auteur de plusieurs films et livres sur la comédie française. “Parce que ni l’horreur, ni la comédie n’ont été suffisamment poussées. Le film de Polanski propose un équilibre parfait entre les deux genres. Celui de Molinaro, à l’inverse, est dans l’hésitation constante et ne va jamais au bout des différentes voies qu’il effleure.”

Le spécialiste trouve cependant au film “un charme certain”, assuré par l’improbable duo Christopher Lee et Bernard Menez: “On adhère sans mal à leur prétendue filiation, bien qu’insensée sur le papier. C’est également cela, la magie du cinéma…” Il déplore surtout un scénario “pas à la hauteur”, inspiré d’un “bon roman” co-écrit par Alain Godard, Jean-Marie Poiré et Édouard Molinaro avec l’aide de Francis Veber. “Difficile, après un tel mélange de personnalités, d’arriver à un résultat cohérent”, qui a désormais “totalement disparu de l’inconscient collectif”.

En 1980, les Charlots livrent leur version du mythe dans Les Charlots contre Dracula de Jean-Pierre Desagnat et Jean-Pierre Vergne. Un long-métrage écrit par la troupe avec René Pétillon, qui est plus une parodie qu’une comédie horrifique, précise Gilles Botineau, pour qui le film est une réussite “totale”, avec des répliques “irrésistibles: “C’est un festival de gags non-stop, où le burlesque, la connerie et l’absurde se côtoient à merveille. Ce n’est pas forcément très fin, mais tout est parfaitement assumé de bout en bout. Et remarquablement bien joué.”

Les Charlots contre Dracula sort après plusieurs films décevants alors que la troupe n’a “plus la cote”, complète Gilles Botineau: “le public commence donc à passer à autre chose, et les critiques, évidemment, terminent d’enfoncer le clou. Résultat, 555.878 entrées. C’est clairement un échec. Je pense par ailleurs que cet humour ultra parodique était un poil en avance sur son temps, surtout en France. Arriveront ensuite Les Inconnus, Les Nuls… sans oublier toutes ces comédies américaines très décalées (les Y a-t-il un flic… Hot Shots!, etc.) auxquelles le public hexagonal ne résista guère. Or, Les Charlots contre Dracula était déjà dans cette veine, le budget en moins et la franchouille en plus.”

Dracula père et fils et Les Charlots contre Dracula restent avec le récent Les Dents de la nuit (2008) un rare exemple de comédies horrifiques français, genre très prisé aux États-Unis (Scary Movie), au Royaume-Uni (Shaun of the Dead) ou encore en Espagne (Les Sorcières de Zugarramurdi d’Álex de la Iglesia), mais peu pratique en France, note Gilles Botineau: “Aucun de ces films n’a vraiment bien marché au box-office. Producteurs et distributeurs ne vont donc pas se bousculer pour en sortir de nouveaux. Le public français demeure totalement hermétique à ce type de films. Je reste cependant persuadé qu’il y a une place à prendre, et qu’un jour il y en a un qui va créer la surprise, et (re)lancer ainsi la mode.”

Vampire positif et existentialiste

Depuis, les vampires français se sont un peu retirés dans l’obscurité de la nuit. En 2001, Antoine de Caunes a signé Les Morsures de l’aube, adaptation de Tonino Benacquista où l’ancien animateur mêle le film noir, la comédie et le gothique. Le vampire a fait quelques incursions dans le cinéma destiné à la jeunesse. Adaptation de la célèbre BD de Joann Sfar, Petit Vampire propose une vision positive et existentialiste du mythe.

Son héros, Petit Vampire, est coincé depuis 300 ans dans le corps d’un enfant. Pourchassé par le terrifiant Gibus, il est contraint de vivre caché dans une grande maison d’Antibes. Lassé de ce confinement forcé, Petit Vampire s’enfuit et se lie d’amitié avec un garçon, Michel. “C’est un hommage à tous ces moments où on s’ennuyait quand on était petit”, nous avait expliqué le réalisateur en 2020. “Ces périodes d’ennui sont celles où on devient un artiste, celles dans lesquelles on forge son imaginaire.”

Depuis, Netflix a sorti l’année dernière Vampires, série sur une famille de buveurs de sang cachée à Belleville. Le créateur, Benjamin Dupas, manifeste une envie de renouveler son approche en inscrivant de manière réaliste et dans un cadre contemporain les vampires, comme dans Blade ou Aux frontières de l’aube de Kathryn Bigelow: “Pour aller à l’essentiel, on peut dire qu’on s’inscrit dans la tradition du genre scientifique des vampires, à base de mutants”, avait-il expliqué à Première.

Et le scénariste d’ajouter: “Je dirais qu’on respecte le genre, on a vu les classiques du genre, mais on prospère plutôt du côté des variantes alternatives. Plus féministes, plus réalistes, moins folkloriques.” Une série qui marque une nouvelle ère pour le vampire français, déjà ouverte avec Grave de Julia Ducournau, relecture du mythe où une jeune femme prend goût au cannibalisme.

Pourquoi les films français de vampires sont toujours des séries Z